BONS ANONYMES et JUSTIFICATION DE REVENUS


Contrairement à la doctrine de l’administration, le Conseil d’Etat vient de décider que la vente de bons anonymes, lorsque des éléments de preuve sont fournis, permet d’éviter une taxation d’office devant le juge de l’impôt.

CE 30 mars 2011 n° 334895, 8e et 3e s.-s., Uy

C’est dans le cadre d’un ESFP (contrôle fiscal personne) que la question de la contestation des impositions liées aux rappels provenant de revenus d’origine indéterminée est soumise aux Tribunaux. Le contribuable explique des rentrées de fonds par la cession de bons anonymes alors que l’administration considère que cette explication lui est inopposable.

Cela résulte de l’article L 16, alinéa 3 du Livre des Procédures Fiscales qui dispose qu’un contribuable qui fait état du remboursement de bons anonymes en réponse à une demande de justification, alors que l’anonymat n’a pas été levé à la date de la vente ou du remboursement allégué, est considéré comme ayant fourni une réponse équivalant à un défaut de réponse. Un tel défaut de réponse autorise alors en principe l’administration à taxer d’office le contribuable. C’est du moins la doctrine de l’administration, contredite en l’espèce.

En effet l’apport de la jurisprudence consiste à considérer que le contribuable n’est pas totalement démuni dans cette situation. Il supporte la charge de la preuve – il s’agit certes d’un handicap sérieux. Mais contrairement à ce qu’indiquait l’administration, le contribuable n’est pas devant une impossibilité totale de combattre la taxation d’office.

L’intérêt de cette décision est que le Conseil d’Etat considère que le contribuable apporte la preuve contraire (notamment par des attestations écrites) du caractère exagéré de l’imposition en démontrant la réalité de la vente ou du remboursement de ces bons.

L’article L.16 du LPF n’interdit donc pas au contribuable de fournir une réponse juridique argumentée visant à faire la démonstration du caractère exagéré de l’imposition d’office.

Le Conseil d’Etat considère que l’article L.16 ne s’applique qu’à la procédure – en procédant à un renversement de la charge de la preuve – mais au fond du droit, le contribuable ne peut pas être démuni de son droit d’apporter la preuve contraire.

L’article L.16 du LPF interdit au contribuable, en réponse à une demande de justifications de l’administration, de faire état de la vente ou du remboursement de bons ou de titres souscrits sous forme anonyme, quelle que soit leur date d’émission, lorsqu’il n’a pas autorisé l’établissement payeur, au moment du paiement, à communiquer son identité et son domicile fiscal à l’administration fiscale.

Pour autant cet article n’interdit pas au contribuable, dans le contentieux de fond, de faire état de la vente ou du remboursement de bons souscrits sous la forme anonyme, alors même que l’anonymat n’a pas été levé lors du paiement des intérêts, mais ultérieurement.

C’est ce qu’avait jugé la Cour Administrative d’Appel de Lyon (CAA Lyon 10 avril 2003 n° 98-326).  Et c’est ce que confirme le Conseil d’Etat. Sa décision ne vide pas l’alinéa 3 de l’article L 16 du LPF de toute substance puisque le contribuable qui invoque l’existence d’opérations sur des bons anonymes est toujours regardé comme s’étant abstenu de répondre et encourt la taxation d’office. Mais il peut faire la démonstration du caractère exagéré de la taxation d’office en supportant la charge de la preuve.

Cette procédure laisse à sa charge la preuve de l’exagération des bases imposées. Le Conseil d’Etat précise qu’il peut ainsi faire état, devant la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires et, en cas de réclamation, devant l’administration puis le juge de l’impôt, d’éléments de nature à démontrer que les sommes taxées d’office proviennent de la vente ou du remboursement, au cours de l’année d’imposition, de bons anonymes.

Afin de démontrer la réalité de l’opération, l’administration demande au contribuable de produire des attestations nominatives qui peuvent être délivrées soit au moment où il effectue les opérations d’achat ou de vente des bons, soit ultérieurement.

Les attestations doivent être suffisamment précises et circonstanciées pour qu’il soit établi avec certitude que le contribuable :

  • a acquis les bons anonymes avant la période contrôlée, si nécessaire ;
  • a procédé à la vente ou a bénéficié d’un remboursement des bons au cours de la période examinée.

En pratique, les attestations doivent donc comporter :

  • le nom du souscripteur, de l’acquéreur ou du vendeur ;
  • la nature de l’opération (achat, souscription, vente, remboursement, échange) ;
  • la date de l’opération ;
  • la qualité et la quantité de biens qui ont fait l’objet des transactions (nature et numéros des bons) ;
  • le montant de l’opération et le mode de règlement ;
  • la référence aux documents tenus par l’établissement financier ou l’intermédiaire au vu desquels l’attestation a été établie de façon à en permettre le contrôle ultérieur (D. adm. 5 B-8221 n°s 20 à 23).

En laissant la possibilité au contribuable d’apporter une telle preuve, le Conseil d’Etat rejoint le Conseil Constitutionnel qui avait considéré (Cons. const. 21 janvier 2011 n° 2010-88 QPC, Boisselier) qu’un texte qui autoriserait l’imposition d’office d’un contribuable en lui interdisant toute preuve contraire risquerait d’être déclaré inconstitutionnel au regard du principe d’égalité devant les charges publiques.

Il est possible d’extrapoler la décision du Conseil d’Etat aux contentieux qui naissent à l’occasion de la seconde hypothèse visée à l’alinéa 3 de l’article L 16 du LPF, c’est-à-dire aux ventes d’or monnayé ou d’or en barres ou en lingots, lorsque l’identité et le domicile du vendeur n’ont pas été enregistrés par l’intermédiaire ou lorsqu’elles ne sont pas attestées par la comptabilité de l’intermédiaire.